SCARS OF CAMBODIA | Un passé sous silence

La série Scars of Cambodia a remporté le concours "Rendez-vous à Arles avec votre livre" et sera edité dans La collection crée par Photographie.com, Chez Higgins et Blurb.

INTERVIEW D'EMILIE ARFEUIL POUR PHOTOGRAPHIE.COM

Photographie.com : Votre série Scars of Cambodia raconte l'histoire de Tut, et rappelle en même temps la vie sous le régime Khmer Rouge. Cette série désigne-t-elle la capacité de la photographie à saisir l'invisible ?

La période Khmère Rouge est à la fois un tabou et un nouveau terrain d’expression au Cambodge. Les procès pour crimes contre l’humanité sont en cours, les langues se délient peu à peu dans la partie civile. La nouvelle génération d’artistes cambodgiens a besoin de parler des cendres sur lesquelles ils sont nés. Mais dans l’esprit de la plupart des Cambodgiens, parler ne fait que rouvrir les blessures. Il faut aller de l’avant. Malgré cette philosophie, les traumatismes subsistent. Il y a une grande part de non-dit et de déni autour de cette période. La culture khmère ne dévoile pas ses secrets si facilement, rien ne se dit mais tout se devine. Les traces sont cependant visibles partout sur les corps, les paysages, les regards, les sourires qui cachent parfois les plus lourds secrets.

Tut n‘avait jamais partagé son histoire, malgré les interrogations de ses voisins ou d‘étrangers. Quand je l‘ai rencontré, je n‘ai pas posé de questions, il a de lui-même décidé d‘aborder ce sujet et de se confier à moi, comme si cela était naturel de me montrer ses cicatrices, comme si le moment était enfin venu.

Ce qui fut d’abord un problème de communication (ne pas parler la même langue) est devenu le moyen de raconter cette histoire. Le langage du corps crée une intimité directe, sensorielle, émotive, parfois très crue et violente, face aux assauts de la mémoire. Il donne à voir les choses telles qu’elles sont. Je n’ai pas cherché à documenter ni à vérifier l’aspect historique de son histoire. J’ai pris le temps de vivre avec lui et d’observer les traces invisibles, les petits détails du quotidien qui réveillent la mémoire, le va et viens de ses regards entre réalité et souvenirs de cette époque.

Photographie.com : Vous allez réaliser un projet de webdocumentaire, pouvez-vous nous en dire plus ?

Le projet est né d’une collaboration avec le réalisateur Alexandre Liebert. Dès le début, de par le mélange de photographie et vidéo sur le même sujet, nous avons tout de suite pensé à un projet transmédia. Nous avons toujours gardé en tête l’idée de décliner le projet sur plusieurs supports : aujourd’hui il a déjà été présenté sous la forme d’une exposition (Centre Bophana à Phnom Penh, Cambodge), d’un documentaire de création de 30 minutes (qui sera projeté aux Rencontres d’Arles au Magasin de Jouets le Jeudi 4 Juillet à 18h30, puis à 19h, et le Vendredi 5 Juillet à 11h), et puis maintenant d’un livre !

En ce qui concerne le webdocumentaire, nous en sommes encore à la phase d’écriture avec le Studio Hans Lucas, et il nous reste beaucoup de chemin à parcourir. Le web est un très bon moyen pour faire voyager le projet, tout en l’enrichissant de nouveaux éléments et en proposant une interactivité avec l’internaute. Nous souhaitons garder un esprit ouvert sur de nouveaux moyens de faire vivre le projet, il y a tant de possibilités aujourd’hui. Chaque nouveau support enclenche une remise en question, questionne à nouveau les images, ouvre un nouveau regard sur notre travail, et permet de trouver de nouvelles formes de partage. C’est très enrichissant.

Photographie.com : Qu'est ce que ce premier livre représente pour vous ?

Tout d’abord c’est un honneur d’avoir été sélectionnée pour la première édition de « La collection ». C’est une très belle concrétisation pour le projet, et bien sûr pour ma carrière de photographe. Le parfait cadeau d’anniversaire pour mes 30 ans !